Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le Plumier
28 mars 2008

LA CHANSON DE CHARLES QUINT.

DSC_0004Ce roman d'Erik Orsenna -mais est-ce véritablement un roman, tant y sont mêlés des évènements de sa vie?- est l'histoire d'une quête, la recherche d'un graal, d'un fantôme.

Une famille d'après guerre. "La mort venait de ravir Staline à l'affection des siens." Un soir le père décide d'emmener ses deux fils écouter chanter Cora Vaucaire à L'Echelle de Jacob (mais qui s'en souvient encore?). Ils n'avaient pas dix ans et pourtant les paroles d'une chanson, pour toujours, vont s'incruster dans la mémoire de l'aîné qui ne cessera dès lors "d'emménager puis de déménager, de maison en maison et d'amour en amour", alors que son cadet, psychiatre, trouvera l'amour unique pour ne plus le quitter avec parfois quelques regrets dans le regard, trahissant l'envie, vis à vis de ce frère à l'amour morcelé, lui dont les paroles de la chanson avaient déclenché une maladie, celle de l'amour:
"ce soir je me sens le coeur lourd
J'ai besoin de chanson d'amour"

Puis un jour, ce vagabond des rencontres, aux désespoir et accablement de ses deux enfants, leur annonça la venue d'un soleil.
Mais "comment ne pas succomber au rire du soleil?" Ce soleil qui entra dans la famille avec une petite fille, Louise, qui "décida de devenir son amie. Pour toujours."

"Le soleil vécut quatre ans"."Un jour .../... un spécialiste des mauvaises nouvelles enfonça un miroir dans la bouche du soleil, juste derrière les deux yeux bleus. Et y trouva une tache, suspecte."

Dès lors les souvenirs des jours heureux se distillent dans les pages de ce très beau roman au goutte-à-goutte des phrases à l'humour d'une finesse exquise, alternant avec la tendresse d'une mélancolie sans emphase, pour s'en aller se perdre et se mêler aux souvenirs des jours de deuil, ce deuil dont le travail sera si long à faire, observé, aidé maladroitement par ceux qui l'entourent, et qui débute par l'action énergique de sa femme de ménage, "Mme Maudez fait. Et, tout en faisant, philosophe."
"Vous me direz, avec la chaleur qu'il fait. Ils savent réfrigérer. Votre femme, vous y avez été? Voir son corps? Combien de fois?
-Une
-Pas assez. Moi, ce que j'en dis... Vous regretterez. Quand on voit le corps, on sait ce que c'est que la mort. Pas seulement une disparition. Allez, venez."

Alternance aussi entre le passé et le présent, dans cette recherche du narrateur de l'endroit où désormais se trouve son soleil, avec cette correspondance d'obsession qui tenaillait le Président de la République, pour lequel il rédigea durant trois années les discours, "... lorsque le vulgaire petit cancer .../... était, contre toute logique et toute révérence, en train de triompher de son supérieur hiérarchique."
"Et c'est ainsi que, parallèlement à son métier officiel, le chef de l'Etat se lança dans une enquête minutieuse sur le séjour des morts." Et le narrateur le tient de source sûre, de la bouche même des intéressés, lorsqu'au cours d'une discussion, il interpelle:
"-Je fais confiance à Mme Bhutto. Le Pakistan peut devenir une tête de pont de la France en Asie. Monsieur le ministre des Affaires étrangères, selon vous, en quel endroit résident les morts après la mort?"

Cette quête, cette recherche du Graal, ce désir de retrouver ce fantôme, ce sera également le but du frère aîné, enviait par son cadet et qu'il enviait lui-même. "Deux frères s'envient toujours."

Y parviendra-t-il, malgré la sollicitude de ses amis navrés de sa tristesse, décidés à l'aider, se réunissant en assemblée générale pour élaborer une stratégie et noter sur un grand cahier toutes les suggestions, dont je n'en extrairais qu'une seule, car je sais que le narrateur l'effectua: "Voyage en Antarctique: Joël, Isabelle."

Etait-il parvenu à retrouver l'endroit où résidait son soleil perdu pour le retrouver et l'éclairer à nouveau, lorsque cinquante ans après avoir écouté chanter Cora Vaucaire il lui rend visite, mais sans la déranger, restant devant sa porte et lui disant merci?

Longtemps il lui en avait voulu. Mais était-ce sa faute s'il avait confondu la vie avec un tour de chant, quand bien même avait-elle été la cause de sa maladie?

Car "il est un autre fantôme qui surgit n'importe quand.../... le regret". Et il est une chanson triste qu'on chantait à l'époque de la renaissance, "Mille Regretz", à laquelle s'attacha un empereur, quand son empire commença de se disloquer, Charles Quint, et qui souhaitait l'entendre et l'entendre encore, lui qui avait tant voyagé et que seul ce quatrain fut ce qui lui restait du monde. Cette identique bougeotte que regrettait la compagne de l'aîné et dont je ne vous dirais rien de plus, vous laissant la découvrir dans cette peinture d'un amour devenu également unique.

Roman? Autobiographie? Autobiographie romancée? Peu importe, Erik Orsenna, un des rares vrais écrivains subsistant encore sous la coupole, nous livre une écriture qui ressemble à son personnage, souriant, malicieux mais grave aussi et qui sait ce qu'est un assemblage subtil de mots, pour notre plaisir et peut-être aussi sa délivrance.

Erik Orsenna "La Chanson de Charles Quint"  Stock,  18 €

Publicité
Publicité
Commentaires
Le Plumier
Publicité
Le Plumier
Publicité